Il est assez amusant que dans le précédent livre que j'ai chroniqué, l'histoire soit enclenchée par une gifle, car dans La fortune de Sila, c'est à un coup de poing que l'on doit l'intrigue.
Tout commence dans un luxueux restaurant parisien. Alors que Sila, un serveur d'origine africaine, tente de remettre un enfant turbulent sur sa chaise, il se fait violemment frappé par le père de ce dernier. Sila, à terre, a le nez brisé. Des personnes présentes, que ce soit le polytechnicien venu pour fêter son premier emploi ou l'oligarqhe russe, personne ne réagit. Indifférence de tous face à cet acte de violence injustifiée.
Pendant une grosse décennie, jusqu'à la crise financière de 2008, nous allons suivre le destin des personnages témoins de cette scène.
Lev, un ancien universitaire, profitera de l'écroulement de l'URSS pour construire une des plus grandes puissances pétrolières de son pays.
Ruffle, l'agresseur de Sila, est un espoir déchu du football américain suite à une blessure au genou, et tire sa réussite de la pauvreté en proposant des crédits immobiliers à tous (les fameux subprimes...).
Simon, brillant chercheur en mathématique mais timide et effacé, trouvera un poste d'analyste à La city, poussé par son colloc et ami Matthieu, jeune homme séduisant et avide de pouvoir et d'argent.
Tous ont lié leur destinée à l'argent, et seront touchés d'une façon ou d'une autre par l'effondrement de sa suprématie en 2008.
La fortune de Sila est un roman brillant. Bien que ses personnages soient des archétypes permettant de lancer une profonde réflexion sur la financiarisation du monde, il sont assez incarnés et fouillés pour se rendre attachants. C'est dans l'ingénieux enchevêtrements de ces destinées humaines que l'auteur parvient à nous montrer ce qui a pu déclencher la crise de 2008 : la déresponsablisation des individus face à leurs actes, l'indifférence face à la violence physique ou morale, le désengagement des êtres dans leurs vies et celle des autres, en somme, le désir de profit et de puissance totalement dénué de toute notion de moralité. Un crise finalement plus humaine et éthique que financière...
"Le monde entier était sous perfusion de crédit, sans rien pour payer d'ailleurs, mais cela ne changeait rien. Il fallait que la roue tourne et tourne encore, jusqu'à ce que tout explose."
Céline
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