ENLIVREZ-VOUS !

"La mémoire est une chienne indocile", d'Elliot Perlman

"Qu'est-ce que l'histoire ? " ainsi commence le cours d'Adam Zignelik, professeur à Columbia, spécialisé dans la période de lutte pour les droits civiques. Sans sujet de recherche ni publication depuis plusieurs années, il sent sa vie partir à la dérive et la perte de son emploi imminente. À la demande de William McCray, ami de son père et avocat à la retraite, il se lance dans la recherche de témoignages et la preuve qu'un bataillon de soldats noirs américains était présent à la libération de Dachau, fait passé sous silence et controversé dans le monde académique. Son enquête va l'amener à découvrir des enregistrements des rescapé·e·s des camps, saisis par le psychologue Henry Border à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. 

Lamont Williams, jeune homme noir du Bronx condamné à plusieurs années de prison malgré son innocence, est tout juste libéré. Il suit un programme de réinsertion au service d'entretien d'un hôpital de Manhattan et s'applique à terminer sa période de probation pour être employé à temps plein et pouvoir enfin espérer retrouver sa fille. Lors d'un de ses services, il rencontre Henry Mandelbrot, un patient en fin de vie rescapé des camps. Une amitié se tisse entre Lamont et le vieil homme, qui jour après jour, lui raconte l'expérience du ghetto et du camp de la mort, en lui demandant de bien se remémorer chaque détail.

Autour des deux protagonistes gravitent un grand nombre de personnages dont les destins plongent le lecteur dans l'histoire de la ségrégation aux Etats-Unis et celle de la Shoah. 

J'avais lu ce roman à sa sortie il y a quelques années, et je l'ai à nouveau dévoré avec angoisse et sidération. L'auteur parvient rendre vivant et unique chaque personnage, tout en nous incitant à une réflexion magnifiquement construite sur les mécanismes d'oppression et d'extermination. 

J'ai beaucoup lu sur ces deux périodes de l'histoire, mais j'ai encore appris à la relecture, notamment sur la révolte du Sonderkommando d'Auschwitz et le rôle que les femmes ont tenu dans la résistance à l'intérieur du camp. 

Un roman magnifique et bouleversant, qui mêle de façon subtile la nécessité de la transmission, familiale et historique, la mémoire intime et collective, et que l'on referme saisi par l'urgence de "Raconter à tout le monde ce qui s'était passé ici."

"La mémoire est une chienne indocile. Elle ne se laissera ni convoquer ni révoquer, mais ne peut survivre sans vous. Elle s'invite quand elle a faim, pas lorsque c'est vous l'affamé. Elle obéit à un calendrier qui n'appartient qu'à elle, dont vous ne savez rien. Elle peut s'emparer de vous, vous acculer ou vous libérer. Vous laissez à vos hurlements ou vous tirer un sourire."

"Ne voudriez-vous pas que quelqu'un raconte votre histoire ? Finalement, c'est la meilleure preuve qui soit que notre existence a compté. Et, depuis la minute de votre naissance, qu'est-ce d'autre que la vie, si ce n'est une lutte à seule fin de compter, pour une personne au moins ?" 

"Le maître des illusions", Donna Tartt

  Richard, un jeune boursier de Californie, est introduit dans le cercle privilégié des hellénistes d'une université du Vermont. Attiré, intrigué par ces jeunes étudiants de la grande bourgeoisie, Richard masque sa condition sociale et tente de s'intégrer à tout prix. Mais il pressent vite que ses acolytes lui refusent un secret terrible, et sa  quête de vérité va le conduire dans un abîme de mensonges, de chantages et de cruauté...

  Un polar merveilleusement ficelé, un roman admirablement écrit, une intrigue délicieusement bouleversante : autant de superlatifs pour décrire ce bijou de la littérature américaine !
  Les quelques nuits blanches nécessaires à l'achèvement de cette lecture vous plongeront au cœur d'une histoire noire et fascinante... Mais je n'en dirai pas plus, tout le plaisir est dans la surprise !

Céline

"Terre des oublis", de Duong Thu Huong

  Au retour d'une journée en montagne avec les autres femmes, Miên se heurte à un attroupement au sein de son petit village au coeur du Vietnam. Bôn, l'homme qu'elle avait épousé 14 ans auparavant, est de retour de la guerre. Le vétéran avait été déclaré mort il y a plusieurs années, et Miên s'est remariée avec Hoan, un riche propriétaire terrien qu'elle aime tendrement et qui lui a donné un fils. Mais Bôn réclame sa femme, et sous la pression de la communauté, Miên retourne vivre auprès de celui qui s'est sacrifié pour son pays.   

  Un réquisitoire contre la guerre, toute forme de guerre, une promenade envoûtante et appétissante au coeur du Vietnam, le destin déchirant de trois individus : ce roman est tout simplement bouleversant.
Miên s'efforce de servir un homme pauvre et malade qu'elle avait épousé trop jeune, renonçant à sa vie douce et luxueuse, et à tout désir physique. Bôn, détruit par la guerre, est tiraillé entre son amour pour Miên et son incapacité à la rendre heureuse. Quant à Hoan, l'homme trop parfait, la perte de sa bien aimée va l'entraîner dans les ruelles sombres et glauques menant aux bordels et à la décadence. Les vies de ces trois personnages se croisent et se rejoignent dans la même plainte : celle des oppressés.

Céline
 

"Extrêmement fort et incroyablement près" de Jonathan Safran Foer

  Oskar, petit garçon de 9 ans surdoué et extrasensible, a perdu son père dans les attentats du 11 septembre.  En fouillant dans les affaires du disparu, il découvre une étrange clé... Persuadé qu'elle lui a été légué par son papa, Oskar se lance dans la quête désespérée de la serrure qui lui correspond. Cet étrange jeu de piste dans les rues de New-York va l'amener à faire des rencontres poignantes, et peut-être, le deuil de son père.

  Les réflexions d'Oskar, drôles et émouvantes, sont entrecoupées d'images, de lettres de son grand père, de confidences de sa grand-mère.  Ce roman est  original, tant par sa construction que par son écriture, et traite avec finesse des conséquences du 11 septembre. Sans jamais tomber dans le manichéisme, Safran Foer nous présente une Amérique blessée avec le regard tendrement cynique d'un enfant.

  Un livre saisissant, qui nous arrache quelques larmes et beaucoup d'éclats de rire !

  Céline

"Fury", de Salman Rushdie

Malik Solanka a fuit femme et enfant pour New York, où il tente de soigner sa Furie, de calmer ses démons intérieurs. Il ère dans la ville et se réveille régulièrement en sueur et amnésique. Parallèlement, de jeunes filles de bonnes familles sont sauvagement assassinées, une voisine se prend pour sa poupée, et la fiancée de son meilleur ami provoque des catastrophes par sa simple présence envoutante.

"Fury" parle de la rage qui est en nous : la rage de vivre selon ses propres lois, celle qui bout devant notre impuissance à nous réaliser pleinement, la fureur de devoir se soumettre à des normes qui nous étouffe.
De la peur de cette même rage intérieure, de la terreur qu'elle déborde un jour de nous et devienne incontrôlable.

Ce thème est traité avec génie - et un soupçon de folie - par Salman Rushdie.

Terrifiant !

Milou

"Je te retrouverai", de John Irving

  Jack a quatre ans lorsqu'il sillonne les ports de la mer du Nord avec sa mère tatoueuse, à la recherche de son père fugueur. Ce dernier est un organiste de talent, accro aux tatouages et coureurs de jupons... Mais leur quête s'avérant impossible, Jack et sa mère s'installent au Canada, où le garçon débute son éducation dans une école de filles... 

  C'est d'ailleurs dans un univers presque entièrement féminin qu'il grandira. Il sera abusé par des femmes plus âgées en même temps qu'il apprendra à jouer de son joli minois pour en séduire d'autres. Sans compter bien sûr Emma, lutteuse et conteuse de talent qui lui fera office de grande soeur, de guide, et de port d'attache.

  Jack évolue avec la crainte permanente d'être identifié à son séducteur de père, tout en s'efforçant de lui ressembler. Son physique d'androgyne et son identité bancale le conduiront à en composer d'autres et à percer dans le métier d'acteur, où il sera applaudi pour ses rôles de travestis. Jusqu'au jour où il décide de partir à la recherche de son passé et, peut-être, de retrouver son père...

  L'écriture de ce roman est une très belle histoire : John Irving, n'ayant lui-même connu son père que très tard, l'a d'abord entièrement rédigé à la première personne. Puis il l'a réécrit à la troisième personne, pour prendre la distance nécessaire et ne pas tomber dans l'autobiographie. Et c'est selon moi cette dynamique entre invention et subjectivité qui rend ce roman d'Irving si touchant. Il a cet aspect de tragédie burlesque propre à ses précédents livres, mais les dépasse tous en émotion et en densité. Je te retrouverai est un conte exceptionnel sur la vie d'un homme, les ambiguïtés de la mémoire, la question de l'identité et de la filiation.

  J'ai pleuré en lisant les dernières pages de ce roman qui restera pour moi le grand chef d'oeuvre d'Irving.

Céline

"Les trois médecins" de Martin Winckler

  Nous sommes en 1974, et quatre garçons, Bruno Sachs, André Solal, Basile Bloom et Christophe Gray entre à la faculté de Médecine de Tourmens. Ils vont y découvrir l'amitié, l'amour, les désillusions, mais surtout l'envie de trouver une nouvelle manière de soigner, envers et contre l'académisme et l'élitisme ambiants.

  Ce roman polyphonique met un peu de temps à démarrer,  mais l'on comprend à la page cent que ce qui nous perd au début fait toute la force de ce livre : à travers les voix d'étudiants anonymes, de professeurs d'horizons différents, des protagonistes ou encore du gardien de l'amphi "Monsieur Nestor", l'auteur nous emmène dans un univers fascinant, grandiose et écœurant.

  J'y ai découvert les dérives proprement infâmes du bizoutage, les avortements clandestins et les méthodes d'enseignement des années 70, tout en traversant toutes facettes de l'émotion : envie de vomir, larmes, éclats de rire.

  Martin Winckler excelle dans le documentaire comme dans le littéraire!   

Céline

"A moi pour toujours", de Laura Kasischke

   Le jour de la saint-valentin, Sherry trouve une note anonyme dans son casier de professeur : "Sois à moi pour toujours". Elle est d'abord flattée par ce billet doux, d'autant qu'elle s'ennuie un peu depuis que son fils unique l'a délaissée pour l'université. Mais d'autres mots apparaissent, et peu à peu, ce qui n'était que coquetterie tourne à l'obsession, voire au malsain lorsque son propre mari change cet admirateur mystérieux en amant imaginaire pour pimenter leur vie sexuelle... La tension monte et révèle peu à peu les effroyables secrets enfouis dans cette vie bien rangée.

  L'auteur nous offre un regard incisif sur la société américaine, et renverse son modèle de vie parfaite : le pavillon en banlieue, le beau mari qui bricole dans le garage le dimanche, le fils qui réussit à l'université. L'écriture poétique et sensuelle de ce roman nous plonge dans une histoire angoissante, où la tragédie reste en suspens jusqu'au dernier chapitre.

J'ai été fasciné par ce roman mené avec talent!

Céline

 

"Les cerfs-volants de Kaboul" de Khaled Hosseini (5/5)

Décidément j'ai eu beaucoup de chance sur mes dernières lectures !

Encore une perle à découvrir d'urgence : "Les cerfs-volants de Kaboul" n'a pas volé son statut de best-seller.

L'histoire est tragique : c'est le destin de 2 frères de lait afghans, l'un patchoun, l'autre hazara, séparés par la trahison et les événements politiques. Leur destin est empli de fatalité, de culpabilité, d'amour déçu.
Jusqu'au jour où l'occasion de présente de se réconcilier avec le passé...

Khaled Hosseini aborde nombre de sujets sensibles avec une grande justesse.

Si je déteste le mélodrame, j'adore la tragédie. La frontière est souvent fine entre les deux. "Les cerfs-volants de kaboul" est une superbe tragédie.

Milou

"L'élégance du hérisson" de Muriel Barbery (5/5)

Non ! Je n'ai pas arrêter de lire ! La question est  pourtant légitime après ces semaines de silence...

Je commence ma séance de rattrapage avec "L'élégance du hérisson", une merveille de roman.
Trois personnes n'ont à priori en commun que d'habiter dans le même immeuble : Renée est la concierge, Paloma une adolescente révoltée, et M. Ozu est un milliardaire japonais.

Sauf que ... Renée lit en cachette Platon et Nietzsche, Paloma couche par écrit ses réflexions philosophiques, et M. Ozu est un grand passionné d'art. Et puis ils sont seuls, si seuls.

Alors lorsque M. Ozu brise les barrières sociales et générationnelles en invitant ces dames pour le thé, leur vie en est bouleversée. Une très belle amitié se développe entre eux, faite de passions communes, de curiosité d'esprit et d'ouverture à l'autre.

L'histoire est très touchante, et surtout quelle écrivain ! La langue de Muriel Barbery est savoureuse, et l'on s'émeut à la fois des situations et de la structure même des phrases.

Je n'ai pas grand chose à ajouter, mais par contre allez lire l'avis de Cuné, elle en parle admirablement.

Milou

"Oracle night" de Paul Auster (5/5)

Pour la seconde fois, je me permets de critiquer le chouchou de Céline, Paul Auster, qui me conquière moi aussi peu à peu...

"Oracle night" est un livre sur l'écriture et l'étendue de son influence sur la vie.

Un écrivain qui récupère doucement d'un accident retrouve le goût d'écrire grâce à un carnet de note unique trouvé par hasard dans une boutique. Sa vie en est complètement chamboulée, et il lutte pour trouver un nouvel équilibre.
Un auteur à succès décrit dans un livre la mort accidentelle d'un enfant quelques années avant que sa propre fille ne se noie, et il choisit de ne plus jamais écrire par peur des conséquences.

Ce livre est magique. La langue de Paul Auster a sa propre vie, son rythme spécifique, et c'est un régal que de se laisser porter par elle. Quelle vie, quelle humanité, quelle poésie !

Milou