On entend bien des choses sur Céline : misogyne, antisémite, misanthrope, ... et certainement le plus grand écrivain français du XXème siècle.
"Voyage au bout de la nuit" est librement inspiré de sa vie même. Le roman raconte sa participation à la 1ère guerre mondiale, ses voyages en Afrique et aux États-Unis, sa vie minable de médecin de banlieue, ... jusqu'au bout de la nuit.
Ce qui frappe en 1er lieu dans le livre est le langage : Céline écrit comme l'on parle, utilisant abondamment l'argot et les images. Grâce à ce style, on rentre totalement dans l'action du livre, on vit au rythme de l'histoire.
J'ai également été choquée par les idées mêmes de Ferdinand, héros profondément antipathique et misanthrope : il porte un regard extrêmement noir sur les hommes et le monde en général, considérant que tout est mensonge et pourriture, que la vie n'est qu'une longue mascarade destinée à nous faire oublier que le voyage aboutit à la mort.
Le tout est intense, brillant, et profondément troublant.
Voici quelques extraits pour que vous vous rendiez comte par vous-mêmes :
Sur la guerre :
"Dans ce métier d'être tué, faut pas être difficile, faut faire comme si la vie continuait, c'est ça le plus dur, ce mensonge."
Observant ses voisins qui se couchent :
"On aurait dit des grosses bêtes bien dociles, bien habituées à s'ennuyer. [...] Ils dorment n'importe comment, c'est des gonflés, des huitres, des pas susceptibles, Américains ou non."
Chez une femme en train de se vider de son sang :
"J'étais si obsédé moi-même depuis si longtemps par la déveine, je dormais si mal, que je n'avais plus du tout d'intérêt dans cette dérive à ce que ceci arrive plutôt que cela. [...] Pas grand chose suffit à vous faire plaisir quand on est devenu bien résigné."
Milou
Je crois qu'il va falloir que je fasse un détour par ce Céline ! Ajouté à PAL.
Rédigé par : Céline | 04 décembre 2007 à 09:10
Bonjour,
Je te félicite d'avoir lu une oeuvre aussi déroutante et difficile que celle-là.
Mes souvenirs de lecture des oeuvres de L-F Céline sont aujourd'hui presque effacés. J'ai presque entièrement oublié la trame des événements et la progression des romans de Céline que j'ai pus lire.
Toutefois, je garde une impression assez nette de la forme d'écriture, du style de Céline, que tu as raison de souligner, qui est inimitable. Sa capacité à construire des sentences morales, à résumer une vie en une phrase S-V-C, à rapprocher des mots que tout séparait, est extraordinaire. Cette capacité est nourrie d'une pensée difficilement qualifiable, qui oscille entre le stoïcisme (qui expliquerait la tendance à chercher des formules qui frappent, comme dans le Manuel d'Épictète ou les Pensées de Marc-Aurèle), le scepticisme et le faux pessimisme du déçu. Tu remarques à juste titre son anticapitalisme, sa misanthropie...
Cependant, je ne partage pas ton avis quand tu écris qu'il "écrit comme l'on parle". 1) La langue de Céline, avec son caractère sentencieux, n'est guère spontanée et inconsciente. Quand nous parlons, nous ne réfléchissons pas aux structures du langage. L-F Céline tente de retrouver cette spontanéité populaire par la réflexion et le travail sur la langue. 2) Je ne connais personne qui utilise un argot comparable à celui des romans de L-F Céline. Je crois que tu veux dire par cette expression qu'il n'utilise pas un langage soutenu et courant. C'est un euphémisme! Sa langue est populacière, parfois franchement vulgaire, mais toujours complexe.
Sur le style, j'aurais aussi ajouté que le réalisme est le noeud de son travail. Il a toujours revendiqué son attachement à la bassesse scatologique de Rabelais.
Mais je m'emporte, je m'emporte, sur ce livre qui avait soulevé mon enthousiasme. Je te remercie de m'avoir donné l'occasion de me souvenir de ces moments de lecture.
Je terminerais par une précision d'histoire littéraire: le livre a échoué au prix Goncourt de 2 voix, mais a été élu par le Renaudot de 1932. Il fut un succès de librairie dans le milieu des années 30.
Mikolka
Rédigé par : Mikolka | 05 décembre 2007 à 16:21
Finalement, j'ai découvert que je n'en avais pas terminé.
Mes remarques sur la sentence morale me paraissent ambigues. Je ne veux pas dire qu'il écrit des maximes sur ce qu'il faut ou ne pas faire. Ces sentences morales ne sont pas moralisatrices.
Elles ne font qu'emprunter la forme des sentences morales.
Un exemple. Dans Mort à crédit, après avoir décrit l'agonie d'un homme lors d'un accident cardiaque, il écrit (je cite de mémoire): "on devrait toujours revenir d'une déchirure du myocarde, il y aurait de la sagesse pour tout le monde."
On: impersonnalité de la règle morale
Tout le monde: généralité de son application
Devrait, sagesse: dimension morale de la sentence.
Je ne veux pas faire le commentaire stylistique complet de cette phrase. Je veux montrer qu'il emprunte la forme sentencieuse, pour la détourner (le conditionnel présent de "devrait" anéantit la force du devoir). Il veut conserver la force de frappe de la sentence tout en la vidant de sa substance morale. La réalité devient la substance de la maxime.
Il me faudrait mentionner aussi ses ruptures dans la syntaxe... Encore une fois, je m'emporte...
Mikolka
Rédigé par : Mikolka | 05 décembre 2007 à 18:36
Mikolka, merci pour ces apports fournis ! Relis donc ce roman, si tu as la chance de ne pas t'en souvenir :-)
Je ne suis pas prête à répondre à ce débat passionné. Je crois que quelque part j'ai peur qu'une analyse trop approfondie me gâche le plaisir d'être déroutée, dérangée, choquée par Céline...
Rédigé par : Milou | 05 décembre 2007 à 21:00
Bonjour Milou,
Malheureusement, je n'ai pas le temps de relire les oeuvres de L-F Céline ou de découvrir celles que je n'ai pas encore lu. Ce temps viendra, j'en suis sûr.
Quant au désir de préserver la force de l'émotion qu'on peut ressentir lors d'une lecture, je partage ton avis. Seulement sur la fin.
1) Je veux dire qu'une émotion est instable, elle a des variations d'intensité, des modulations dans son contenu, elle finit par s'éteindre. C'est pourquoi je crois que l'analyse a un rôle à jouer. L'analyse est le moyen de recréer, après la surprise de la découverte, les émotions de la première lecture. Parce que, nous faisant comprendre pourquoi nous avons ressenti telle ou telle émotion, elle nous fait repasser par elles. Il y a de très belles pages chez Paul Valéry (notamment sa leçon d'introduction à son cours au Collège de France) à ce sujet, et c'est l'un des principes de la poétique de Mallarmé.
2) Ce qui me pousse à accorder de la place à l'analyse, c'est le fait que la cause de nos chocs et de nos émotions, est l'analyse, bien qu'elle se passe de manière inconsciente. Analyser avec précision un texte, c'est simplement faire passer dans la conscience ce qui était involontaire et inconscient. Rien de plus.
Je ne crois donc pas l'analyse dénature les émotions. Je crois plutôt que c'est un excellent moyen pour continuer à être dérouté et choqué.
En art, l'analyse et la raison sont au service de l'émotion, si tu m'accordes cette manière de parler un peu vague, imagée et trop manichéenne. Elles sont les moyens d'approfondir ce que nous ressentons. Nous sommes donc d'accord sur la fin, mais pas sur les moyens.
À bientôt.
Rédigé par : Mikolka | 07 décembre 2007 à 11:02
C'est l'un de mes écrivains favoris !!! il a inventé l'argot dans ses romans, il ne le parlait pas du tout !
Rédigé par : Zorglub | 27 décembre 2007 à 15:29
Bonjour,
Ce bref mail pour vous signaler un spectacle célinien qui sera présenté sous peu à Paris : Nuit d'Amérique.
Nuit d'Amérique (d'après les chapitres américains du "Voyage au bout de la nuit"de L. F. Céline)
Théâtre du temps, 9 rue du Morvan, Paris.
Du 18 au 28 février 2010.
20h30 et 17h dimanche.
Version scénique / Mise en scène : Julien Bal
Avec : Guillaume Paulette, Valentina Sanges, Giulio Serafini, Julien Ratel, Renaud Amalbert, David Augerot.
Musique : Paul Anka
Chorégraphies : d'après Gene Kelly
Lumières : Renaud Amalbert
décor : lightcorner
Infos : chromoscompagnie ( at) yahoo.fr
Rédigé par : Julien Bal | 19 janvier 2010 à 19:50
@ Julien Bal : merci pour l'info, mais j'aurai du mal à venir depuis Bruxelles :-) Bonne réussite à votre spectacle !
Rédigé par : céline | 21 janvier 2010 à 12:07
@ Julien : moi je le note et viendrai !!!
Rédigé par : Milou | 28 janvier 2010 à 21:11