Après le suicide de sa mère, Delphine de Vigan éprouve le besoin irrépressible d'enquêter sur son propre passé, et celui de ses ancêtres. Pas vraiment pour comprendre, non, car le "pourquoi" restera en suspend inexorablement, mais plutôt pour tenter d'approcher la douleur, le coeur de celle qui lui a donné la vie. Le récit se présente alors comme un long cheminement, et l'auteur s'interrompt parfois pour nous faire part de sa difficulté à aller jusqu'au bout de ce projet.
Dans la première partie, écrite à la troisième personne du singulier, nous plongeons dans l'enfance de Lucile Poirier (mère de Delphine de Vigan), adorable petite fille blonde et discrète, dans une famille de neuf enfants. Lucile, si jolie, fait des photos publicitaires qui permettent bien souvent à la famille de s'en sortir à la fin du mois. L'attention pour les petits détails, la description des protagonistes et de leur état d'esprit, nous plonge au coeur de la vie d'une famille nombreuse dans les années 50-60. Cette reconstitution m'a beaucoup plu.
Dans la seconde partie, Delphine de Vigan reprend la première personne du singulier et assume à nouveau sa narration. C'est à travers son regard d'enfant, puis d'adulte que nous découvrons alors Lucille, mère fantaisiste ou déprimée, souffrant de troubles bipolaires. Peu à peu, par retours en arrières et entretiens avec des proches, l'auteur va, malgré un désarroi toujours présent, un peu mieux cerner sa mère, va mieux entendre "ce qui lui avait échappé, ces ultrasons indéchiffrables pour des oreilles normales". Bien sûr, rien de neuf ou d'original dans la démarche de Delphine de Vigan, et je suis souvent peu portée sur ce genre de récit très autocentré. Pourtant, ce livre m'a bouleversée.
Avant tout, il ne se présente pas du tout, contrairement à ces homologues du genre, comme un règlement de compte. L'écrivain tente d'aborder la réalité dans son incroyable complexité, avec tendresse et respect pour ceux qui l'ont vécu. Même lorsqu'elle retransmet des évènements effroyables, elle se garde d'y apposer un jugement.
Et puis, la plume de Delphine de Vigan est belle, traversée par l'amour qu'elle porte à sa famille, mais aussi à l'humanité. Car le défi est là, réussir à ce que cette histoire très personnelle dépasse sa petite portée familiale, sinon, à quoi bon être publiée ?
Ensuite, le personnage de sa mère, la famille dont elle est issue est extrêmement romanesque.
Enfin, ce récit m'a confortée dans l'idée que malgré les rires, les cadeaux, les bonnes bouffes, la chaleur et l'amour, toutes les familles sont des tragédies.
"J'ignore comment ces choses (l'inceste, les enfants morts, le suicide, la folie) se transmettent. Le fait est qu'elles traversent les familles de part en part, comme d'impitoyables malédictions, laissent des empreintes qui résistent au temps et au déni. "
Céline
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