ENLIVREZ-VOUS !

"Lady Hunt", de Hélène Frappat

 Laura Kern, une jeune femme plutôt solitaire, travaille un peu par hasard dans une agence immobilière luxueuse parisienne. Elle mène une liaison intense mais sans avenir avec son patron. Lors d'une visite, un petit garçon disparaît quelques minutes, comme aspiré par l'appartement... Parallèlement, Laura rêve presque chaque nuit d'une étrange maison qui semble vouloir l'attirer entre ses murs. L'histoire étrange et fantastique de cette jeune femme nous emmène dans l'âme des habitations, mais aussi dans une histoire familiale où les gènes peuvent être transmis comme une malédiction.

  Ai-je aimé ce roman ? Ce qui est sûre c'est que l'écriture m'a plu, les descriptions de maison, l'ambiance instaurée, l'étrange distillé au fil des pages... Mais je suis restée un peu plus sceptique quant à l'intrigue. En effet, tant de bouts d'histoires sont lancés que je suis restée très frustrée ! Je voulais en savoir plus sur sa famille, cet héritage douloureux qu'elle transporte, le petit garçon au don, le régisseur qui parait si séduisant... Tant de personnages superbes à peine esquissés ! Une histoire familiale passionnante si peu développée ! J'imagine que cela fait partie du style de ce roman, mais je suis bien trop curieuse pour accepter que tant de questions soient laissées en suspend !  Hélène Frappat sait capter son lecteur avec un style très poétique, je n'ai tout de même pas lâché ce livre...

   Une lecture un peu en demi-teinte, je me suis laissée bercée par l'écriture et l'ambiance, mais j'aurais aimé en savoir plus...

Céline

"L'invention de nos vies", de Karine Tuil

  A tout juste quarante ans, Sam Tahar affiche une réussite parfaite. Avocat réputé et respecté, marié à la fille d'un grand nom de la communauté juive, deux enfants parfaits, il est brillant, séduisant, carriériste.

  Mais cette réussite repose sur un mensonge : il y a 15 ans, lassé de voir ses CV laissés sans réponse, il retire la dernière syllabe de son prénom. Samir devient Sam, et sur un malentendu qu'il entretiendra par la suite, le musulman devient pour tous,  juif.

  "Avec le mensonge, on peut aller très loin, mais on ne peut jamais en revenir" dit un proverbe yiddish cité dans ce roman. En effet, ce jeu social parfaitement maîtrisé va bientôt s'effriter et Sam Tahar va se retrouver confronté à son passé, ses origines, ceux qu'il a laissé derrière lui pour avancer.  

  Avec un rythme alerte, effréné, un vocabulaire riche et une syntaxe bien maîtrisée, Karine Tuil livre ici un roman contemporain passionnant. Ce récit soulève un profond questionnement sur la société française et américaine, sur la question des origines et de la discrimination, la pression de la réussite et des apparences, sur l'argent comme marque de pouvoir.

  J'ai dévoré ce roman et je me suis laissée emportée dans la course délirante de ses protagonistes. Cependant, le rapport très froid de l'auteur avec ses personnages m'a empêchée de m'identifier complètement. Ici aucune tendresse, aucune rédemption possible pour les héros. Les femmes sont toutes décrites comme soumises, objets, avec un très mince espoir sur leur capacité à l'émancipation. Même l'amour n'en est pas ici, juste du désir de possession, un moyen supplémentaire de briller.  

  Malgré (ou grâce à) cette vision presque clinique de l'homme, L'invention de nos vies est un roman brillant sur la réussite, le mensonge- et la chute.

  "L'argent affecte tout. Il affecte les relations avec vos amis, votre famille, les personnes que vous rencontrez et il vous affecte, vous, colonisateur discret qui prend ses aises, vous mutez sans le savoir, vous devenez ce que vous détestez."

Céline

"Les brumes de l'apparence", de Frédérique Deghelt

  A quarante ans, Gabrielle hérite d'un terrain perdue et d'une bicoque au coeur de la campagne française... Parisienne convaincue, elle décide immédiatement de vendre ce bout de forêt complètement paumé. Mais d'étranges rumeurs circulent au village et risquent de compliquer la transaction immobilière. Contrainte de passer une nuit sur sa terre, sans réseau, elle assiste à d'étranges phénomènes... Rêves prémonitoires, sensation de présences, peu à peu Gabrielle réalise qu'elle parvient communiquer avec les esprits des morts.

  Comment réagit-on lorsqu'à quarante ans, à la tête d'une boite d'event, mère d'un ado et femme d'un chirurgien esthétique, on se découvre médium ? En lançant cette question, Frédérique Deghelt ouvre de nombreuses pistes de réflexions intéressantes.

   En effet, dans notre société hyper rationaliste, le champ des possibles est assez restreint. Tout doit être étiqueté, compris et décrit par la science. La démarche d'écriture sur un sujet qui nous dépasse mais nous touche tous - la vie après la mort et la possibilité d'une communication avec les vivants- m'a donc beaucoup touchée et fait réfléchir.

  Par contre, j'ai trouvé l'intrigue un peu faible. Un tel sujet aurait mérité des personnages plus fouillés, plus ambigus, et je les ai trouvé un peu caricaturaux, ou pas assez décrits. Le récit est très introspectif, et les sensations et questionnements de la narratrice sont donc souvent répétés, parfois à outrance... Les pensées sur la vie après la mort sont énormément développées, en dépit des évènements et de leur continuité... Certains morceaux d'intrigues sont d'ailleurs laissés en suspens (quid des lettres anonymes, de l'explosion de la télé) au profit de trop nombreuses réflexions.  

  L'histoire qui m'a été racontée dans ses pages ne m'a donc pas réellement convaincue... Quant à l'idée générale véhiculée par le livre, elle a été selon moi trop paraphrasée, trop expliquée pour que je puisse avoir la sensation de l'avoir fait mienne. Ce que j'aime dans le romanesque, c'est justement l'idée qui se cache dans le récit des évènements, dans les relations entre les personnages.

  De Frédérique Deguelt, j'avais beaucoup aimé La vie d'une autre, un peu moins La grand-mère de Jade. Mais il y a quelque chose que je retrouve dans tous ses romans, et qui me touche énormément, c'est l'impression d'une grande tendresse pour l'humain et une foi en l'amour, de l'autre, de l'humanité.

Céline

"Le tort du soldat", de Erri de Luca

  Le narrateur, homme amoureux de la nature et passionné de la langue yiddish, croise le sourire d'une femme dans un café.

  C'est cette dernière qui reprend la voix du récit et nous raconte son père, un ancien nazi devenu facteur. Malgré ce passé terrible dont elle ne veut pas connaître les détails, elle s'occupe du vieil homme qu'est devenu ce père. Quant à lui, il estime que son seul tort est d'avoir perdu la guerre. Paranoïaque, il développe une véritable obsession pour la kabbale à travers laquelle il pense lire des signes...

  Ce récit est court, trop court. A peine 100 pages pour aborder un sujet si lourd et dédoubler le narrateur (le lien entre ces deux voix est d'ailleurs vraiment ténu...), c'est peu. Beaucoup de sujets sont évoqués, à peine effleurés par l'auteur. Les pistes de réflexions sur la langue yiddish, la shoah, la responsabilité intergénérationnelle sont intéressantes mais pas assez approfondies à mon goût.

 J'ai tout de même eu plaisir à retrouver l'écriture si poétique de l'auteur, notamment lors de ces descriptions de la nature. Un moment de lecture plaisant, qui laisse de nombreux questionnements en suspend...

Céline

Pourquoi j'ai changé le sous titre d'Enlivrez-vous !

En 2006, Enlivrez-vous est né sous l'impulsion de ma grande soeur... L'envie de partager nos lectures à distance et de papoter de nos coups de coeur lui avait donné cette super idée ! Un journal de soeurettes amoureuses des livres, de Paris à Bruxelles...

Depuis quelques années, Milou a peu a peu cessé d'écrire des notes,  par manque de temps principalement. Car ceux que cela inquiète, rassurez-vous, Milou lit ! Et nous échangeons toujours nos livres chouchous par téléphone ou lorsque le plaisir nous réunit le temps d'un week-end ;-)

Au bout de 7 ans, j'ai eu envie de rafraîchir un peu l'apparence du blog, comme je ne suis pas web-designeur, ça casse pas des briques bruxelloises, mais ça fait du bien de changer de temps en temps :-)

Ce petit changement c'est aussi l'occasion de dire merci à ma Milou, sans qui je n'aurais jamais découvert l'univers des blogs de lectures qui me plait tant... Et qui sait, peut-être qu'un jour Enlivrez-vous sera à nouveau le journal de deux soeurettes amoureuses des livres :-)

Céline