"Nous avons tous besoin de beauté pour que la vie soit supportable. Fernando Pessoa l'a très bien exprimé 'La littérature, comme toute forme d'art, est l'aveu que la vie ne suffit pas.' Elle ne suffit pas, non. C'est pour ça que je suis en train d'écrire ce livre. C'est pour ça que vous êtes en train de le lire."
Récemment touchée par le décès de son mari, Rosa Montero reçoit une commande de son éditrice : écrire la préface du journal écrit par Marie Curie pour faire face au deuil de Pierre. La lecture du journal résonne particulièrement en l'auteur et ce qui devait n'être qu'une préface devient un cours récit entremêlant biographie de Marie Curie et questionnements sur la mort, les mots, l'intimité, la vie.
J'ai tout de suite été séduite par ce texte foisonnant, bouillonnant et tellement vivant. Le titre déjà me donnait envie de m'y plonger, il en dit si long sur le deuil en quelques mots à peine...
Je connaissais peu de choses de Marie Curie et j'ai aimé cette femme impressionnante par sa détermination, par l'engagement et la passion qu'elle mettait dans sa recherche mais aussi dans ses relations amoureuses et dans ses idéaux sociaux. Rosa Montero parvient à nous faire un portrait intimiste de la scientifique, à relier ce destin hors du commun à l'universel. Les passages sur la découverte du radium, les applications commerciales développées autour et le danger mortel si long à repérer par la communauté scientifique, sont aussi édifiants.
A cette biographie se mêlent nombreuses pensées et pistes de réflexions de l'auteur, autant de sujets identifiés par des #hashtags. Je n'ai pas adhéré à tout, certains extraits notamment sur les relations hommes femmes m'ont paru un peu caricaturaux, mais la plupart du temps, les mots de Rosa Montero m'ont atteinte en plein cœur. Car c'est bien pour moi de cela qu'il s'agit dans cette lecture, d'une émotion pure, d'un échange sur ce qui nous relie en tant qu'êtres humains.
Un gros bémol tout de même, l'édition française a supprimé les photographies présentes dans la version originale. C'est bien dommage car à plusieurs reprises l'illustration manque (quand Rosa Montero décrit des photos de Marie Curie), mais cela ne me surprend pas tellement, les lettres françaises gardent une certaine méfiance face à l'image.
Tant de passages m'ont touchée que j'ai eu du mal à tous les noter, voici quelques extraits que je trouve particulièrement lumineux :
" Quand un enfant vient au monde ou qu'une personne meurt, le présent se fend en deux et vous laisse entrevoir un instant la faille de la vérité : monumentale, ardente et impassible. On ne se sent jamais aussi authentique que lorsqu'on frôle ces frontière biologiques : vous avez clairement conscience d'être en train de vivre quelque chose de très grand"
"Oui, les peines d'amour ouvrent des abîmes insoupçonnés, des spasmes d'agonie qui, je crois, se rapportent en réalité à autre chose, qui vont au-delà de l'histoire d'amour particulière, qui touchent à quelque chose de très basique dans notre construction émotionnelle. A la pierre angulaire sur laquelle repose l'édifice de ce que nous sommes. Le mal d'amour démolit et jette à terre."
"Il n'y a rien de ridicule dans l'#Intimité, il n'y a rien de scatologique ni de répudiable dans ce petit feu domestique de sueur et de fièvre, de morves et d'éternuements, de pets et de ronflements. (..) L'#Intimité : ne pas savoir très clairement où vous finissez et où commence l'autre."
"Les êtres humains se défendent de la douleur insensée en l'ornant de la sagesse de la beauté. Nous écrasons du charbon à mains nues et nous réussissons parfois à faire ressembler ça à des diamants."
"Mais la littérature, ou l'art en général, ne peut pas atteindre cet espace intérieur. La littérature s'applique à tourner autour du trou. Avec de la chance et du talent, peut-être qu'on parviendra à jeter à l'intérieur un coup d’œil rapide comme l'éclair. Ce flash illumine les ténèbres, mais de manière si brève qu'il n'y a qu'une intuition, pas une vision. En outre, plus vous vous approchez de l'essentiel, moins vous pouvez le nommer. La moelle des livres se trouve au coin des mots. Le plus important des bons romans s'amasse dans les ellipses, dans l'air qui circule entre les personnages, dans les petites phrases. C'est pour ça, je crois, que je ne peux rien dire de plus sur Pablo : sa place est au centre du silence."
Tout au long de ma lecture, je me suis sentie proche de l'auteur et je n'avais qu’une envie en refermant la dernière page, m'attabler autour d'un café avec elle pour poursuivre cette passionnante conversation.
Keisha et Mior ont suscité ma curiosité, alors merci :-)
Céline
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